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Plaidoyer pro domo

Défense et illustration des Lettres Classiques
 

Au retour des vacances de Toussaint, à la demande de plusieurs familles, un cours de grec a été mis en place pour un groupe de six élèves de seconde du lycée. Peut-être est-ce l’occasion de réfléchir au sens et à la place des lettres classiques dans notre système éducatif ? En effet, la désaffection pour le latin et le grec, qui ne date pas d’aujourd’hui, s’est encore accentuée ces dernières années, notamment avec la dernière réforme du baccalauréat en 2010.

Cette réforme a positionné le latin et le grec comme des disciplines d’option, sauf pour le bac L, et encore avec la seule spécialité « lettres classiques » (latin et/ou grec), ce qui ne concerne au final qu’une toute petite minorité d’élèves. C’est vrai, cette disposition reléguant le latin et le grec au rang d’enseignement facultatif pré-existait à la réforme et, d’une certaine manière, en attribuant la possibilité d’un coefficient 3 au latin ou au grec choisis en option, celle-ci semblait valoriser à nouveau, au moins en partie, les lettres classiques.

Cependant une autre disposition a eu un effet repoussoir : en effet, dorénanant, ces deux langues dites anciennes sont apprises sous la dénomination « langues de l’Antiquité« . Or, cette appellation est à la fois erronée, aberrante et dissuasive. Pourquoi dissuasive ? parce qu’apprendre une langue de l’Antiquité, pensons à l’égyptien ou à l’étrusque ou encore au phénicien par exemple, est affaire de spécialistes et, par conséquent, réservé aux études universitaires, et non plus aux études secondaires, ensuite faux et aberrant car ni le latin, ni le grec ne sont des langues de l’Antiquité, comme nous allons le voir :

Le latin a été à la base de la « Renaissance » de la culture occidentale à partir du XV ème siècle, jusqu’à devenir la langue universitaire de toute l’Europe jusqu’au XVIII ème, et même au-delà. Le latin a également été la langue universelle de la religion catholique, la plus répandue dans le monde, jusqu’en 1963 (le concile Vatican II a imposé le latin au début de ses travaux pour ensuite accepter progressivement les interventions en langue profane). Le latin reste encore aujourd’hui la langue officielle utilisée pour la promulgation des textes de l’Eglise catholique. Vous le voyez, nous sommes bien loin de l’Antiquité !

Comme c’est la création d’un enseignement du grec qui nous réjouit aujourd’hui, passons une peu plus de temps sur l’importance et la portée de cette langue :

Rappelons que la création la plus originale et la plus remarquable de la Grèce antique, c’est la « Dêmokratia« , ving-trois siècles avant la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789. Dans un monde où seule l’aristocratie accédait au pouvoir, dans un monde où seuls les « tyrans » gouvernaient, Périclès, cité par Thucydide dans la guerre du Péloponnèse, déclare en 430 avant Jésus-Christ : « Comme notre façon de gouverner ne dépend pas du petit nombre mais de la majorité, ce régime s’appelle une démocratie. Dans les désaccords qui peuvent survenir entre les particuliers, la loi est la même pour tous… Pourvu qu’il soit capable de rendre service à l’état, personne n’en est empêché à cause de sa pauvreté ou de l’obscurité de sa condition… C’est par nous-mêmes que nous jugeons les questions politiques ». Eschyle dans Les Suppliantes complète : « la liberté, c’est quand on demande : Qui a une proposition à faire pour le bien de la Cité ? Celui qui le veut brille, celui qui ne veut pas se tait. Peut-on concevoir plus parfaite égalité politique ? »

Tout est dit enfin sur le tragique de la condition humaine dans la littérature grecque. Sophocle, au V ème siècle avant J-C, écrit la plus belle tragédie sur la destinée humaine parce que, la première, elle fait droit à l’idée d’humanité : « Oedipe-roi« . Oedipe, confronté au mal et à un destin tragique, se pose la question du « Pourquoi ». « Pourquoi ? Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait au ciel pour mériter une telle épreuve ? » Le drame d’Oedipe est celui de l’Homme, c’est-à-dire la recherche de réponses face à l’adversité. Il confronte chaque personne à son propre destin, dans la recherche du sens de la vie, interrogeant la responsabilité individuelle et annonçant l’humanisme qui va féconder notre civilisation.

Si on ajoute que les linguistes considèrent le grec moderne comme l’enfant direct du grec ancien, et qu’il suffit d’une simple effort intellectuel attentif pour passer du grec « antique » au grec parlé aujourd’hui, on peut affirmer que, ni le latin, ni le grec, ne sont des langues d’une époque révolue, ni même que ce sont des langues mortes, puisqu’elles sont toujours utilisées de nos jours !

Dénommer le latin et le grec « langues de l’Antiquité » est par conséquent une grave erreur. Vous pensez peut-être que l’erreur est humaine ? Vous avez raison … après tout « errare humanum est« , n’est-ce pas ? Mais, dans le cas présent, même à l’heure du numérique, disons-le tout Net : « perseverare diabolicum » !

Le latin et le grec sont en réalité des langues de civilisation, quelle civilisation ? La nôtre évidemment ! Elles en ont posé les fondements, et elles ont assuré les fondations de ce qui demeure notre maison commune. Et ne plus les enseigner à l’école ressemblerait donc fort à une rupture de civilisation.

 

Alain SULMON